Retrouvez ma réponse à Esther Benbasa dans le Journal Libération : d’un «carrefour des crises» faisons de la Méditerranée un «bassin des opportunités»

Chère Esther,

Comme vous, je suis un député issu de l’immigration, par mes grands-parents venus d’Asie mineure pour trouver en France une vie meilleure.

Dans votre récente tribune – «Sénatrice, l’indifférence vis-à-vis des migrants me prend à la gorge» – vous décriviez avec justesse et émotion la dramatique situation migratoire de notre pays. Vous rappeliez aussi à juste titre la loi inacceptable et dangereuse votée récemment par le Parlement sur l’asile et l’immigration, et je rajouterai qu’après près de vingt lois votées au Parlement en trente ans, cette dernière était même déclarée «inutile» par le Conseil d’État.

Ce constat que nous partageons, nous devons maintenant le porter politiquement plus fort et plus haut. La question migratoire est un sujet éminemment européen, et cela tombe bien une échéance approche. J’y reviendrai…

Lorsqu’une ministre française reprend à son compte l’expression Asylum shopping – «shopping de l’Asile» – elle commet une double faute : celle de l’indécence d’une part, et celle de l’erreur politique d’autre part. Peut-être a-t-elle tout simplement oubliée le Brexit, qui est tout sauf un exemple en matière d’ouverture sur les sujets migratoires.

La gauche qui se reconnaît comme telle doit mener ensemble la bataille culturelle. Elle est aussi sémantique. Le migrant économique, c’est l’exilé fiscal ! Les pauvres gens qui fuient la guerre ou la misère, ce sont des personnes en situation de migration. Cela fera peut-être sursauter les réactionnaires ? Tant mieux.

A l’approche d’échéances européennes, il faudra ensemble faire des propositions ambitieuses, et à la mesure du sujet comme à la hauteur de nos valeurs : universalisme et humanisme.

Au niveau national, nous devons préparer la mise en œuvre prochaine d’un service public de l’accueil et de l’intégration avec une réelle transversalité interministérielle. Accueillir doit rendre fière une Nation. C’est sûr, c’est un projet politique d’envergure ; cela ne peut pas être mis en œuvre en rechignant ou se parant d’une fausse bonne conscience.

La Méditerranée est aujourd’hui le «carrefour des crises». En relançant avec conviction le projet d’Union pour la Méditerranée, nous pouvons la transformer en un «bassin d’opportunités». Cette Union pourrait se bâtir avec les spécificités méditerranéennes communes, mais aussi en tirant les leçons des vices de la construction européenne, pour ne pas les reproduire.

Une Union des peuples tournée vers la paix et la prospérité ; dotée d’un fonds d’investissement méditerranéen dont l’objet serait de développer des projets énergétiques et écologiques communs, de donner accès au crédit aux petites entreprises du bassin, et de financer l’accueil migratoire dans le bassin méditerranéen construit autour d’une politique commune.

En stabilisant la Méditerranée, mieux, en poursuivant l’ambition d’en faire une Union aussi forte et attractive que l’Union européenne à terme, nous pouvons aussi esquisser des solutions durables pour de nombreuses crises qui secouent les pays limitrophes.

N’oublions pas que toutes ces «crises» – migratoires, énergétiques, économiques, sécuritaires – sont liées entre elles. Les traiter séparément est une erreur. Unir la Méditerranée, c’est essayer des les régler ensemble et globalement.

De plus, il faut encore et toujours demander à la France d’organiser cette Conférence internationale sur les migrations tant attendue, dont la mobilisation devrait être aussi forte que pour la COP21 – d’ailleurs ces sujets sont bien souvent imbriqués – car il est temps que les Nations prennent des décisions fortes en la matière. Réfléchissons donc à instaurer de nouvelles normes internationales contraignantes en la matière.

Enfin, dans ce monde multi-polarisé où les grandes puissances se reforment – Russie, Chine – ou s’isolent – Etats-Inis– portons haut et fort notre attachement au multilatéralisme et à l’ONU. La France a un message singulier dans le monde. Elle n’a pas à choisir entre Trump et Poutine. Ce serait alors le contraire de l’idée d’incarnation de l’universalisme aux yeux du monde.

Madame la sénatrice, chère Esther,

Si la gauche est assez forte et unie pour faire raisonner ensemble cette ambition, sans nous déjuger de nos appartenances politiques respectives, et dans le respect de nos sensibilités, alors peut-être pourrons-nous commencer à dénouer ce nœud liée à «l’indifférence vis-à-vis des migrants» qui NOUS «prend à la gorge».

Luc CARVOUNAS

Source : Libération