J’ai signé avec plusieurs collègues PRG et PS une proposition de loi autorisant les Maires élus en 2014 qui seraient aussi parlementaires à pouvoir rester Maires bénévolement jusqu’à la fin de leur mandat, donc en 2020. Ces derniers ne pourraient exercer sur les 3 dernières années de leur mandat de Maire que les seules fonctions de Maire et de Parlementaire.
Le non cumul des mandats est au cœur de mes propositions pour réformer et moderniser nos institutions (cf mon livre “La politique autrement” aux éditions Jean Jaurès ou ma contribution aux travaux de la Commission Winock-Bartolone à l’Assemblée nationale).
Cette proposition de loi signée par des hommes et des femmes de gauche n’est en rien un renoncement au non cumul des mandats. Le dire serait nous faire un procès d’intention!
A défaut d’être retenue par le Sénat de droite qui a son propre texte -et que je ne voterai évidemment pas- et encore moins par l’Assemblée nationale, j’ai utilisé cette proposition de loi comme un outil pour poursuivre nos réflexions sur nos institutions qui seront au cœur, à n’en pas douter, des différents programmes des candidats à l’élection présidentielle de 2017. J’assume d’être dans la transgression politique si cela réussit à alimenter le débat d’idées.

Au tout début du quinquennat, François Hollande a demandé à Lionel Jospin un rapport pour moderniser la vie politique française et une réponse à sa promesse de campagne sur le non cumul des mandats. Sur cette question, Lionel Jospin avait bien évidemment fait des préconisations mais avec un préalable extrêmement important que peu d’observateurs sinon aucun n’avaient souligné à l’époque: la nécessité de créer un véritable statut de l’élu, vieux serpent de mer, il est vrai, depuis le regretté Marcel Debarge et son rapport pour un vrai statut de l’élu en 1983. A l’époque, comme aujourd’hui, la Haute administration jugeant cette mesure trop coûteuse l’avait rayée d’un trait de plume, rayant par la même l’accès à la vie politique d’une très grande majorité de Français, aboutissant à la crise politique et à la crise de représentativité que nous traversons.

La loi sur le non cumul des mandats de 2014, si elle a le mérite d’esquisser un début de modernisation de la vie politique française, reste selon moi une loi qui n’a pas répondu à toutes les attentes.

– D’abord, parce que le préalable indispensable posé par Lionel Jospin pour un véritable statut de l’élu n’a pas été entendu par la majorité présidentielle. Sans un réel statut, comment arriverons-nous à retrouver au Parlement des jeunes, des ouvriers, des salariés, des Français issus de l’immigration, plus de femmes, des employés? C’est cette crise de représentativité qui a, à mon sens, créé la défiance de nos compatriotes vis-à-vis de leurs élus. Sans statut de l’élu, notre République ne sera pas à l’image de notre société et des Français. Ces derniers ne se reconnaissent plus dans leur classe politique qui à droite comme à gauche s’est accommodée des mêmes filières et des mêmes cursus de recrutement: les professions libérales, la fonction publique, l’ENA, les cabinets d’élus… Il suffit de regarder la composition des nouvelles assemblées régionales pour étayer mon propos.

– Ensuite parce que la loi de 2014 aurait été une grande loi sur le non cumul des mandats si nous avions eu le courage de voter le non cumul dans le temps (pas plus de 2 mandats successifs comme pour les élections présidentielles et répondre à l’attente légitime de nos concitoyens, fatigués de voir à chaque élection les mêmes candidats), le non cumul horizontal (aujourd’hui les grands pourfendeurs de droite comme de gauche sur le non cumul des mandats tel qu’il a été voté au Parlement sont les mêmes qui détiennent plusieurs mandats locaux), le non cumul et l’abaissement à 5500 euros (et non plus 7500 euros) des indemnités ce qui permettrait d’abonder une Caisse pour les élus et leur statut. J’ai toujours défendu cette vision globale du non cumul et je continuerai à la défendre.

– Enfin, nous n’avons eu de cesse de dire que les parlementaires allaient pouvoir dorénavant, grâce à cette loi, se consacrer à plein temps à leurs missions, mais sans avoir jamais esquissé la question des moyens alloués aux députés et aux sénateurs pour accomplir leur mandat et contrôler l’exécutif et les dérives d’un régime présidentiel qui n’en porte pas le nom, comme cela se passe dans plusieurs pays européens et outre-manche. Aujourd’hui un parlementaire a moins de moyens qu’un Maire de grande ville ou qu’un collaborateur ministériel… triste réalité de notre Parlement et donc de sa faiblesse face à une haute administration toute puissante et qui, elle, traverse de façon immuable les alternances démocratiques.

Si je n’ai pas voté contre la loi de février 2014, je me suis abstenu au Sénat avec un bon nombre de mes collègues socialistes. Je n’ai pas voulu répondre à la démocratie sondagière qui fait tant de tort à la démocratie.

Nous, la gauche, dont l’égalité pour tous est l’ADN, au nom de cette démocratie sondagière, influencée par des sirènes populistes anti-élites, avons réussi l’exploit de voter une loi qui bannit le Maire de l’Assemblée et du Sénat! Je pense que nous avons commis là une erreur politique dans le contexte actuel que nous vivons en France, j’y reviendrai. Quel formidable paradoxe, la fonction élective la plus plébiscitée et appréciée dans notre pays par nos concitoyens, celle qui permet à un élu de la République d’être un vrai généraliste sur toutes les grandes questions: économiques, fiscales, environnementales, de logement, de solidarité, de sécurité, et donc d’apporter une expertise pointue au Parlement au moment de la fabrication de la loi, c’est cette fonction que nous allons éliminer.

Dans tous les territoires, partout en France, le Maire est, et reste, le premier guichet républicain, et nous l’avons remercié en lui refusant l’accès aux plus hautes fonctions républicaines et en nous coupant de son expérience précieuse, celle de femmes et d’hommes confrontés au réel du quotidien.

Étrangeté supplémentaire, nous interdisons au Maire d’un village de 250 habitants d’être parlementaire, mais la loi sur le non cumul des mandats de février 2014 autorise un conseiller départemental ou régional à être député ou sénateur. Voilà la réalité pour celles et ceux qui croient que le non cumul des mandats a été voté: vous pouvez être l’élu d’un territoire de 25.000 habitants (un canton) ou de 7 millions (une région) et rester parlementaire, mais l’élu d’un village, lui, est condamné à rester aux portes du Sénat ou de l’Assemblée.

Où est la logique institutionnelle? Nulle part! Si ce n’est de répondre à cette mode qui était de dire à l’époque “Pas Maire et pas Parlementaire”!” dont on jugera vite les limites à l’avenir. Au moment où l’exécutif parle à juste titre de ghettos dans les quartiers, que notre modèle de civilisation est menacé par les extrémistes religieux et politiques, nous avons coupé le lien entre le Maire et la Nation en lui interdisant l’accès au Parlement. Tout le monde se félicite du programme de renouvellement urbain développé dans nos villes aujourd’hui, celui-ci aurait-il germé dans l’esprit de Jean-Louis Borloo sans son expérience de Maire de Valenciennes?

Je crains aussi qu’en juillet 2017, nous assistions à de drôles de conseils municipaux qui verront élire des Maires désignés par leur prédécesseur démissionné du fait de la loi, car parlementaire, mais qui n’auront aucune envie de ne pas terminer le programme municipal pour lequel ils ont été élus avec leurs colistiers. Les faits sont là déjà pour nourrir cette crainte: après le terrible attentat de Nice, se souvient-on du nom du Maire de Nice alors que Christian Estrosi occupait tous les écrans?

Voilà ce qui pourra arriver dans bon nombre de nos villes… une démocratie représentative encore plus affaiblie avec des Maires qui n’en seront pas réellement, des parlementaires qui à terme, nommés par les partis au nom des chapelles et des sensibilités politiques -comme cela existe déjà aux élections Européennes- n’auront aucune expérience de l’administration d’un territoire et par méconnaissance ou ignorance fabriqueront des lois mal ficelées.

Dois-je citer pour seuls exemples: le décret sur les rythmes scolaires et la grande difficulté pour les communes au tout début de les mettre en œuvre, provoquant l’ire des parents. Sans parler de la Métropole du Grand Paris dont la copie votée à 94% par les 131 maires de gauche et de droite de la Mission de préfiguration installée par le Premier ministre s’est vue balayée par les néo-députés de la majorité au moment du vote. Belle préfiguration, en effet, de ce que sera le Parlement du non cumul en 2017 et de son rapport avec les Maires. Et enfin, sans pouvoir me soupçonner d’être dans un esprit corporatiste, puisque je ne me représenterai pas aux élections sénatoriales en 2017, interdire aux Maires de siéger au Sénat c’est à terme la mort du Sénat, ou alors le condamner à être, dans le fonctionnement actuel du bicamérisme français, une chambre supplétive de l’Assemblée nationale, et donc à terme, pour plus d’efficacité, aboutir à sa disparition.

Je continue à croire que nous pouvons améliorer la loi de 2014, c’est le rôle du législateur que je suis que de faire des propositions. L’Histoire a démontré que parfois de bonnes idées n’en étaient malheureusement pas: on commence à mesurer les vraies limites du quinquennat qui est venu remplacer le septennat, comme l’inversion du calendrier électoral qui vient affaiblir la légitimité de la nouvelle majorité élue à l’Assemblée nationale au prétexte qu’elle s’adosse à celle du Président élu avant elle.

Avec un statut de l’élu, apportons une réponse définitive à la crise de représentativité politique que nous traversons, imposons enfin le non cumul dans le temps, le non cumul horizontal et le non cumul des indemnités. A l’instar des conseillers départementaux et des conseillers régionaux, corrigeons notre erreur et permettons aux Maires de siéger au Parlement, et de ne pas perdre le fil avec l’idée que nous nous faisons de la Nation et de ses valeurs avec ses acteurs forts dans nos villages et dans nos villes.

Pendant la campagne présidentielle en 2012, François Hollande, à Dijon, nous rappelait que le mot “Maire” composait l’anagramme du verbe “Aimer”. Démontrons, nous les élus de la République, que nous aimons cette fonction en la replaçant au cœur de la Nation et de ses institutions. Nos institutions que nous chérissons et qui mériteront mieux que le futur concours Lépine de propositions que je vois d’ores et déjà se profiler à l’occasion des élections présidentielles futures. Céder à la facilité affaiblit la politique et creuse plus encore le fossé avec nos concitoyens.

Voir l’article sur le site du huffingtonpost.fr