Lundi 21 mars 2016, un colloque intitulé « Dette, Démocratie … : la Grèce miroir de l’Europe ? » organisé par le groupe interparlementaire d’amitié France-Grèce du Sénat, présidé par M. Luc Carvounas, s’est tenu au Palais du Luxembourg. Parmi les intervenants, on a pu noter la présence de M. Albéric de Montgolfier, sénateur d’Eure-et-Loir et auteur du rapport d’information au nom de la commission des finances : «Les risques financiers pour la France inhérents à un éventuel défaut grec», M. Costa-Gavras, réalisateur, et M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux Affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères et du Développement international.

Mesdames et Messieurs,

Cher-e-s Ami-e-s, Jamais l’idée européenne n’a semblé si menacée. Jamais le processus d’intégration n’a paru si réversible ; et jamais l’Europe n’a paru si éloignée des préoccupations des citoyens.

Elle est trop souvent perçue comme un « cheval de Troie » de la concurrence de tous contre tous. L’intégration européenne a imbriqué des systèmes, elle n’a pas assez créé de sentiments de solidarité. La Grèce est le révélateur du manque de perspective politique en Europe, une situation qui signale aussi un affaiblissement profond de nos valeurs. La situation économique à moyen et long terme ainsi que le règlement de la crise migratoire sont deux préoccupations majeures pour la Grèce et l’Europe. Mais qu’est-ce que la « crise grecque » nous apprend de l’État de l’Union Européenne ?

1. Une situation économique qui manque de perspective de long terme :

La situation économique en Grèce mérite un constat lucide. Les indicateurs récents démontrent l’absence d’impacts positifs des politiques d’austérité imposées à la Grèce. PIB contracté de 0,3% en 2015, consommation faible, pauvreté en augmentation continue depuis 2008 qui touche aujourd’hui 1/3 de la population, sont autant de sanctions pour ceux qui souhaitaient sanctionner trop durement la Grèce. Rappelons que la Grèce est d’autre part dans une forme de « mise sous tutelle », puisque depuis l’accord du 13 juillet 2015, le gouvernement grec s’est engagé à « consulter les Institutions – c’est à dire l’UE et les créanciers – et de convenir avec elles de tout projet législatif avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement ».

Cela pose effectivement une question démocratique majeure, que nos intervenants ne manqueront certainement pas de soulever dans nos débats. L’autre problème concerne le manque de perspective pour l’avenir économique de la Grèce. Le Ministre des Finances Michel SAPIN a lui même déclaré le 10 janvier dernier que la question de la soutenabilité de la dette grecque devait être abordée le plus rapidement possible.

Mon collègue Simon SUTOUR, qui a présidé ce groupe d’amitié avant moi, a rédigé un excellent rapport parlementaire qui traite de cette question. Le débat sur la restructuration de la dette grecque, une véritable réforme de l’État – notamment en matière de lutte contre la fraude fiscale et de réforme de l’Administration – ainsi que des investissements importants dans les secteurs porteurs de croissance, sont les clés qui permettraient à la Grèce de retrouver une perspective d’avenir optimiste. Et derrière les chiffres, il y’a surtout la vie de femmes, d’hommes et d’enfants. Un tiers de la population grecque vit sous le seuil de pauvreté. Comment l’Europe peut-elle tolérer cela compte tenu de ses Valeurs ? L’OCDE qui publiait une récente étude sur le sujet montre à quel point la situation sociale demeure fragile. Et cette fragilité est indéniablement accrue par la crise migratoire que traverse la Grèce.

2. La crise migratoire : plus les Hommes arrivent, plus les Valeurs s’en vont :

Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, la Grèce a accueilli en 2015 près de 860.000 migrants, dont 500.000 ont débarqué sur la seule île de Lesbos.

Face à l’urgence de la situation, je ne peux que me féliciter, cher Harlem DÉSIR, de la mise en place au niveau européen d’un instrument d’aide d’urgence doté de 700 millions d’euros.

Car je veux le répéter ici, aider la Grèce vaut bien mieux que de brandir une quelconque menace de quarantaine ; aider la Grèce, c’est nous aider nous-mêmes. Oui il doit exister en Europe une solidarité déterminée pour ce que l’on appelle la « relocalisation » des réfugiés. Il est vrai que la mise en place de ce dispositif – comme celui des Hotspots, dont notre collègue François-Noël BUFFET a consacré un rapport – peinent encore à donner des résultats satisfaisants pour tout le monde. Mais je le dis directement, on a l’impression ces derniers temps en Europe, que plus les femmes et les hommes arrivent, plus nos valeurs fichent le camp. Ce n’est pas acceptable. Et que dire de ces pays européens, plus à l’Est que nous, qui semblent avoir posé un voile funeste sur la mémoire de leur passé.

Je crois qu’il est important de rappeler et de soutenir la proposition du Président de la République, celle d’organiser rapidement, pourquoi pas à Paris, une grande Conférence internationale sur les migrations.

Ce n’est pas seulement la Grèce qui est confrontée à ce problème ; et avec le réchauffement climatique, la migration de millions et de millions de personnes doit être anticipée et organisée sous peine de provoquer, ici et là, le chaos. Enfin, pour conclure sur la question migratoire, je veux aujourd’hui joindre ma voie à celles et ceux qui demandent que le Prix Nobel de la paix soit remis aux habitants de l’Ile de Lesbos, pour leur courage et leur humanité. L’Europe doit soutenir cette initiative, car ces femmes et ces hommes font la fierté des Valeurs européennes, qu’ils incarnent si bien.

3. La situation de la Grèce nous amène à des changements profonds en Europe :

Alors quelles leçons devons-nous tirer pour l’avenir de l’Europe ? Tout d’abord, nous devrons résoudre la délicate question du conflit de légitimité politique. Je m’explique. Le soir du 5 juillet, le peuple grec répondait non – OXI – à la question référendaire qui lui était soumise. Mais Alexis TSIPRAS a dû assumer, dans un moment de gravité face à l’Histoire, une responsabilité politique majeure, celle d’outrepasser le résultat des urnes. C’est alors là que réside le conflit de légitimité politique. L’État grec avait pris des engagements sous des Gouvernements précédents qui devaient persister ; mais d’un autre côté, à cette légitimité institutionnelle s’opposait celle des urnes. L’avenir nous dira si c’est la bonne solution qui fût choisie ; mais une chose est sûre, la démocratie européenne est ressortie un peu plus étiolée de cette affaire.

Un autre enseignement, et je le dis de façon un peu provocante, est que si l’Europe n’a pas sût jusque-là nous protéger du libéralisme et du cryptofascisme, elle nous protège encore du keynésianisme. Et c’est pourtant d’un véritable « New-Deal européen » dont nous aurions besoin. Les sujets ne manquent d’ailleurs pas : la production de nouveaux indicateurs de richesses, le débat sur le revenu de base, la protection sociale européenne, la constitution d’une vraie Défense européenne ou encore la mise en place d’une Europe de l’Énergie.

Cher-e-s Ami-e-s, Avant de laisser la parole à M. COSTA-GAVRAS et puisque nous évoquions un « New-Deal européen », je me remémore une phrase du Président ROOSEVELT, qui devrait rappeler à l’Europe – surtout dans le contexte actuel – que « la seule chose que nous ayons à craindre, c’est la peur elle-même ». Alors ne mésestimons pas notre capacité à faire bouger les lignes.

Je vous remercie.