Dans un monde en mutation, beaucoup partagent le constat des difficultés de la France à opérer les transformations dont elle a besoin. Si une part de responsabilité incombe aux « politiques » qui manquent trop souvent de vision, on peut s’interroger sur l’efficacité de ceux qui ont la responsabilité de préparer, d’évaluer et d’appliquer les réformes. Car, dans quasiment tous les domaines -du traitement du chômage à la collecte de l’impôt, en passant par l’éducation nationale ou les politiques de santé -, le ratio efficacité/coût de nos politiques publiques est comparativement et systématiquement plus faible en France que dans les autres pays.

Ce constat ne remet pas en question l’intelligence, ni le sens du service des personnes, mais interroge directement notre administration qui confie la responsabilité de façon exclusive aux mêmes du fait de leur appartenance aux grands corps de l’État. Nous devons poser la question de l’efficacité de l’ENA qui détient le monopole de la gestion du pays. Au regard de l’état de la France, il y a matière à s’interroger ! Ce sujet est d’autant plus préoccupant que les énarques, au-delà des postes de direction qu’ils occupent dans l’administration, jouent efficacement de leurs réseaux pour s’immiscer dans toutes les interstices du pouvoir. Des partis politiques aux états-majors des grandes entreprises en passant par les collectivités, c’est une technocratie bien établie, sûre d’elle et solidaire qui dirige le pays. Elle structure la France dans un seul modèle de pensée et d’action dont on peut se demander s’il est toujours adapté aux enjeux que nous devons relever. C’est la raison pour laquelle il faut nous interroger à la fois sur l’évolution de cette formation, sur sa réelle porosité avec les réalités du monde actuel mais aussi sur son véritable champ d’action.

À la première question sur l’évolution de la formation, je viens d’interpeller le premier ministre sur les cours dispensés à l’ENA. L’actualisation des contenus, a diversité des Intervenants et les critères d’évaluation devraient être revus à l’aune des exigences de l’exercice des plus hautes fonctions publiques. Afficher cette transparence aurait le double avantage d’ouvrir un débat sur la correspondance des enseignements avec les meilleures pratiques en matière d’administration pour le pays niais aussi de permettre à d’autres acteurs de formuler des propositions complémentaires et innovantes.

La seconde question est décisive car elle pose le sujet de l’isolement culturel des énarques par rapport aux mutations du monde. Plusieurs erreurs d’anticipation de la France face aux évolutions économiques, sociales ou politiques rendent cette question à la fois sensible et légitime puisqu’il y va de l’avenir de millions d’emplois. La diversité des paramètres à intégrer pour réussir les transformations dont la France a besoin ne peut certainement plus se contenter d’un système de formation unique et monolithique. L’administration de la France et la préparation de son avenir appellent au contraire à l’engagement d’une diversité de talents. Ne serait-il pas stratégique que les futures élites administratives de notre pays aient l’expérience d’une activité à l’international, d’une vie en entreprise ou d’une pratique de l’innovation ?

Nous devons faire en sorte que l’accès aux plus hauts postes de l’administration ne soit plus réservé aux seuls énarques mais soit ouvert à la diversité des compétences et des expériences que requièrent des politiques modernes et courageuses.

La troisième question est celle du champ d’action de l’ENA car, si on peut se féliciter de l’utilité d’une formation de haut niveau au service de l’administration, Il est difficile de lui reconnaître ce privilège de préempter l’ensemble des espaces de pouvoir. Ce débat mériterait d’être tranché par les élus en demandant à tous les énarques de démissionner immédiatement et de façon irrévocable de leur statut de fonctionnaire dès lors qu’ils sortent du strict cadre de l’administration, y compris pour aller dans les cabinets ministériels ou dans les collectivités locales. Cette décision – au-delà du fait qu’elle créerait une équité entre les cadras du public et du privé – permettrait l’arrivée de compétences nouvelles à de nombreux postes stratégiques. Notre gouvernance doit être audacieuse. S’il revient aux acteurs politiques d’impulser les orientations, c’est aux agents de l’État de les appliquer. Mais l’un ne va pas sans l’autre. Or aujourd’hui notre pays souffre d’une absence de vision, d’une faible efficacité de ses politiques publiques et d’une forte consanguinité entre ceux qui sont élus et ceux qui doivent gérer la France au quotidien.

Ce système de pouvoir unique ne correspond plus aux réalités du monde, ni à la recherche des meilleures solutions. Pour retrouver du souffle, l’action politique a besoin d’oxygène, y compris dans la haute fonction publique, dont les certitudes contrastent de plus en plus avec l’état de la France.

figaro-carvounas