Les révélations autour des « Paradise Papers » marquent une nouvelle étape dans l’information que les Français et les Européens doivent avoir de l’industrie d’évasion fiscale qui est aujourd’hui à l’œuvre dans tous les pays occidentaux.
Cette industrie met en péril le pacte républicain tout entier, tant elle manifeste une inégalité de traitement entre les Français, et entre les entreprises selon qu’elles soient grandes ou petites.
En moyenne un grand groupe paie 15% d’impôts sur les bénéfices. Les PME qui ont beaucoup plus de mal à générer du bénéfice paient, quant-à-elles l’impôt au taux normal, sauf sur une petite fraction de leurs résultats .
Chaque année plus de vingt milliards d’euros d’impôts dus par les grandes fortunes et les grands groupes à la France partent en fumée par le fait de montages fiscaux…souvent légaux. C’est l’équivalent du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur de la France.
Pire, c’est presque l’équivalent de ce que rapporte chaque année la totalité de l’impôt sur les sociétés en France.
Les avocats fiscalistes nomment pudiquement « optimisation fiscale », le fait que certains groupes et certaines grandes fortunes enfreignent les règles de la morale et celles de la citoyenneté en toute légalité. Les dés sont pipés et nous fermons les yeux !
Nous ne devons plus laisser les grands groupes et les grandes fortunes jouer à un jeu dont elles savent qu’elles peuvent contourner les règles. Pour cela nous devons :
1. Demander la tenue en urgence d’un sommet européen consacré à l’évasion fiscale
A ce phénomène mondial, la France ne peut pas se contenter d’une réponse franco-française : c’est une bataille à l’échelle européenne et mondiale qu’il nous faut mener. Je demande en conséquence la tenue en urgence d’un sommet européen consacré à l’évasion fiscale qui devra déboucher sur des actions concrètes en matière de taux et d’assiette des impôts des entreprises.
Depuis 2008 et la crise des subprimes, un travail a été mené : des avancées réelles ont été obtenues : la Suisse et le Luxembourg coopèrent mieux avec la justice française dans la transmission d’informations financières. Aucune avancée ne peut être obtenue sans la coopération des Etats.
Une cellule de régularisation a été mise en place en France pour pousser les Français qui détiennent des avoirs à l’étranger à rapatrier leur patrimoine en France en échange d’une transaction transparente et légale avec les services de Bercy. Elle rapportera cette année 8 milliards d’euros de recettes.
Mais le travail qui nous attend encore est d’une toute autre ampleur. Il nous faut à présent sans attendre engager la bataille de l’harmonisation des pratiques, des taux, et des assiettes d’imposition des Etats européens sans quoi, les multinationales et les spécialistes de l’évasion fiscale pourront continuer à jouer au chat et à la souris avec nos services fiscaux.
Je connais d’avance la réponse que nous feront les Etats qui profitent à plein de cette industrie de l’évasion fiscale : les impôts relèvent de la souveraineté des Etats.
Cet argument n’est plus entendable !
Parallèlement à la guerre juridique et fiscale que nous devons livrer aux Etats offshore qui continuent de transgresser les règles les plus élémentaires de la coopération i internationale, il est temps d’avoir une vraie discussion avec les Pays-Bas et l’Irlande qui pratiquent depuis trop d’années une politique agressive de dumping fiscal.
Alors que les Pays-Bas exonèrent totalement d’impôts les dividendes et les redevances versés à un actionnaire étranger qui investit dans une société néerlandaise implantée sur son territoire, l’Irlande fait quant-à-elle tout simplement payer 3 fois moins d’impôts sur les sociétés qu’en France (12.5% d’impôts au lieu de 33% en France)
En 2008, alors que l’Irlande était au bord de la faillite suite à la crise des Subprimes, c’est l’Europe qui s’est rendue à son chevet en injectant 50 milliards d’euros au travers du Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF).
2. Sanctionner durement les entreprises qui se livrent à l’évasion fiscale illégale
Le gouvernement doit exiger des entreprises impliquées dans le scandale des « paradise papers » qui auront perçu du crédit d’impôt recherche (CIR) ou du crédit d’impôt compétitivité (CICE) qu’elles restituent les sommes perçues à hauteur des montants soustraits illégalement à la France.
3. Mieux contrôler les prix de transfert
Certains grands groupes en France et en Europe délocalisent artificiellement une partie de leurs produits et leurs services pour payer moins d’impôt. C’est déjà le cas avec la pratique très opaque des prix de transferts qui permettent aux grands groupes de gonfler la part de leur bénéfice imposable réalisé à l’étranger, sous l’œil insuffisamment attentif de Bercy.
En clair, alors qu’une entreprise réalise ses bénéfices grâce à ses clients français, elle peut s’arranger pour payer des redevances, des loyers ou des prestations de services à ses filiales ou sa société mère basées à l’étranger. Les bénéfices réalisés en France seront ainsi artificiellement faibles, et ceux transférés à l’étranger seront taxés à des taux avantageux.
L’enjeu est de taille : les prix de transfert représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros chaque année dont une partie est largement sur-évaluée, mais insuffisamment contrôlée faute de moyens d’évaluation suffisants.
4. Renforcer les moyens du comité de l’abus de droit fiscal
Afin de contrôler que le contournement des règles de droit n’aboutisse pas tout simplement à une fraude fiscale, la France s’est dotée d’un comité de l’abus de droit fiscal qui n’a été saisi que de 58 cas de figure en 2016.
Il s’agit pourtant d’une instance stratégique amenée à déterminer si l’application optimisée des règles existantes relève d’un esprit de fraude ou d’une simple application des textes.
5. Simplifier le droit fiscal
Les comportements qui ont amené à la publication des « paradise papers » trouvent paradoxalement leurs sources dans la très grande complexité du droit fiscal. C’est cette complexité qui permet aux grands groupes et aux grandes fortunes de contourner les règles.
Emmanuel Macron a mis moins de 4 mois pour « simplifier » le code du travail. Sa volonté ? Rendre le droit du travail « plus compétitif » pour les entreprises françaises.
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait pour le Code Général des Impôts ? Parce qu’il sait que sa complexité profite aux grandes fortunes et aux grands groupes.
Nous devons avoir le courage de nous attaquer à une réforme devenue nécessaire, parce que source de trop d’inégalités.
En s’attaquant véritablement à la complexité du système fiscal français, et en exigeant des Etats-Membres de l’Union Européenne qu’une vraie pression s’exerce sur l’Irlande et les Pays-Bas, le gouvernement s’attaquerait enfin au cœur du scandale de l’évasion fiscale en Europe.
Il ne manquerait pas de porter un coup fatal à la complaisance des Etats et devrait affronter de nombreux adversaires. Mais rétablir la confiance des Français en l’Europe est à ce prix.