LES TERRITOIRES, ACTEURS INCONTOURNABLES DE LA PRÉVENTION DE LA RADICALISATION

L’ensemble du territoire est touché Au total, au 1er mars 2017, 17 393 individus étaient inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). La consultation nationale des élus locaux organisée par les rapporteurs a montré que les éléments concrets de radicalisation les plus fréquemment relevés étaient les comportements de rupture avec l’environnement – notamment l’école ou la famille –, les attitudes à l’égard de certaines catégories de population (femmes, élus…) et vis-à-vis des institutions républicaines.

La radicalisation, un concept à clarifier

La consultation a aussi montré que 60% des élus répondants estimaient ne pas disposer de tous les éléments d’information nécessaires pour saisir le phénomène de radicalisation. Afin de pallier ce déficit d’information, la première partie du rapport s’efforce de clarifier le concept de radicalisation en analysant les liens qu’il entretient, d’une part, avec la radicalisation violente et, d’autre part, avec la radicalisation islamique, ainsi qu’en examinant les différentes explications du phénomène et les mécanismes en jeu. Elle montre que l’enjeu est double pour les collectivités : contribuer à la prévention de la radicalisation violente, certes, mais aussi lutter contre un communautarisme hostile à la République qui en constitue le terreau.

Les collectivités territoriales sont en première ligne

Les collectivités, et plus particulièrement les communes, sont directement confrontées à la pression d’un communautarisme parfois exacerbé. Elles peuvent avoir à répondre à des demandes d’aménagements d’horaires ou d’usages dans les services publics (accueil, piscine…), elles peuvent aussi faire face à une volonté de contrôler certaines structures de sociabilité (maisons de la jeunesse et de la culture, associations sportives, éducatives…). Ces comportements impliquent de façon latente la remise en cause du pacte social et peuvent être associés à une dérive vers la radicalisation.

Les collectivités doivent s’impliquer dans la prévention de la radicalisation Initialement concentrée

entre les mains du préfet, la prévention de la radicalisation doit aujourd’hui être mise en œuvre dans la continuité des politiques de « co-production de sécurité » dont les collectivités ont acquis une solide expérience, grâce en particulier aux contrats locaux de sécurité et aux comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) mis en place dès les années 1990.

Ces instances ont permis l’instauration d’une solide relation de confiance et d’un partage d’informations entre les acteurs concernés (préfets, élus locaux, police, justice, école, associations…). Ce partenariat s’est traduit par la mise en place d’un dispositif souple et adaptable aux besoins du terrain. Dans ce cadre partenarial, les collectivités territoriales ont la possibilité de mobiliser un certain nombre d’outils efficaces.

Les communes s’impliquent, par exemple dans la construction du « vivre-ensemble », en développant des actions en matière de culture ou de sport, en s’appuyant sur les centres communaux d’action sociale, etc.

Les départements sont aussi concernés du fait de leurs compétences en matière de solidarité : aide sociale à l’enfance, protection maternelle et infantile. Ils sont pleinement associés à la détection des signaux de radicalisation faible, mais sont aussi présents dans l’accompagnement des familles, et parfois dans celui de personnes radicalisées, en partenariat avec la cellule départementale de suivi placée auprès du préfet.

Les régions peuvent agir à travers leurs compétences en matière de formation professionnelle continue et de formation en alternance. L’insertion des jeunes en difficulté joue un rôle important en la matière.

QUELLES STRATÉGIES TERRITORIALES DE PRÉVENTION DE LA RADICALISATION ?

L’implication des collectivités territoriales dans la prévention de la radicalisation est récente. Pour autant, elles bénéficient de l’expérience acquise au cours de vingt années de partenariat avec l’État dans le domaine connexe de la prévention de la délinquance. C’est sur cette toile de fond dynamique que les rapporteurs de la délégation aux collectivités territoriales ont identifié de très nombreuses bonnes pratiques, qu’ils souhaitent porter à la connaissance des élus locaux.

Exemples de bonnes pratiques :

– à Sarcelles, le triptyque « sensibiliser-informer-former » est au cœur d’un programme de prévention globale. La ville souhaite mettre en place un pôle de compétences de dimension nationale ;

– à Colmar, un programme relatif à la prise en charge des personnes soumises aux dérives radicales et destiné aux personnes ayant commis une infraction pénale a vu le jour, sous l’impulsion du parquet général, en tant qu’alternative aux poursuites ou en cas de poursuites ;

– à Chalon-sur-Saône, une cellule municipale d’échange sur la radicalisation est depuis peu opérationnelle. Elle vise à participer à la détection des signaux faibles ;

 – à Vilvorde, en Belgique, une structure administrative locale anti-radicalisation a été créée et suit environ 130 jeunes ;

– le département des Alpes-Maritimes a mis en place une action à destination des collèges du département, avec projections de film suivies de débats basés sur un kit pédagogique ;

– le département du Val-de-Marne travaille depuis 2015 sur la prise en charge de l’évaluation des mineurs signalés, issus notamment de la zone aéroportuaire d’Orly. Plus généralement, l’engagement des départements en matière de prise en charge des enfants de retour des zones de combat constitue un enjeu essentiel ;

– la ville d’Orléans a mis en place un suivi individualisé de jeunes radicalisés. En outre, les parents peuvent bénéficier d’un groupe de parole leur permettant de partager leurs inquiétudes et de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls ;

– Strasbourg, première ville à désigner un adjoint en charge de la prévention de la radicalisation, a élaboré un plan en 5 axes, qui prévoit notamment la construction de réseaux territoriaux pluridisciplinaires, permettant à l’ensemble des acteurs d’un quartier de discuter et de croiser leurs informations sur le décrochage scolaire, social, sportif, affectif d’un jeune ;

– le conseil départemental des Ardennes a mis en place une procédure interne afin de mieux préparer l’examen des dossiers des personnes par la cellule départementale. Il s’agit de centraliser, dans un même dossier, l’ensemble des informations dont disposent les différents services du département.

Les initiatives locales incluent globalement trois catégories d’actions principales :

– sensibilisation et formation des agents locaux et des partenaires associatifs ;

– détection de signaux faibles et identification d’individus concernés ;

– prise en charge des personnes suivies.

Il est urgent de mettre en place un protocole national d’évaluation des initiatives locales et d’engager une réflexion sur les modalités de diffusion de celles qui paraîtront les plus prometteuses. L’existence d’un volet d’évaluation des actions locales pourrait être un critère d’attribution d’une subvention au titre du FIPD.

Le domaine de la prévention

Les collectivités ont un rôle à jouer pour assurer une prévention primaire, tendant à agir sur de nombreux facteurs socio- économiques (éducation, emploi, logement, loisirs, etc.) qui peuvent être décisifs. Dans ce domaine, les actions de prévention de la radicalisation gagneraient à rencontrer celles qui relèvent de la prévention de la délinquance, dans la mesure où elles sont largement congruentes. Les collectivités peuvent aussi, à l’instar de la ville de Vilvorde, mettre en place des éléments d’une prévention secondaire, dirigée vers des groupes ou des populations présentant un risque particulier de radicalisation et des personnes en voie de radicalisation. Enfin, les collectivités peuvent participer, mais dans un cadre précis et en partenariat avec les autorités de l’Etat, à des programmes de prévention tertiaire, destinés à des personnes déjà radicalisées et/ou ayant posé des actes violents, dont le maître d’œuvre est l’autorité judiciaire. La collectivité peut, par exemple, fournir des locaux, mettre en place des financements, des débouchés pour des périodes de formation sur le terrain, etc.

LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉPARTITION CLAIRE DES RÔLES AINSI QUE D’UN PARTENARIAT RENFORCÉ

La condition pour que le partenariat État-collectivités fonctionne de façon satisfaisante est l’existence d’une relation de confiance étroite et pérenne entre les différents acteurs.

Le socle de cette confiance est lui-même constitué par la clarté des champs de compétences respectifs et par l’équilibre de la relation entre les collectivités territoriales et l’État.

Distinguer trois niveaux dans l’architecture du dispositif de prévention de la délinquance

– l’impulsion nationale : c’est le rôle du ministère de l’Intérieur, qui gère, notamment via l’UCLAT, la plateforme nationale de signalement, ainsi que du Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) ;

– la déclinaison déconcentrée : le préfet est le pivot de la prévention au niveau départemental, au moyen de cellules de détection/prise en charge. Les collectivités territoriales doivent être associées à ces cellules, notamment en ce qui concerne la prise en charge et les suivis (social et psychologique) des individus les moins radicalisés ;

– la déclinaison locale : le maire, acteur de terrain, responsable de l’animation de la politique de prévention de la délinquance, est aussi, à ce titre, en charge de la prévention locale de la radicalisation. La mobilisation sur le sujet des conseils locaux et intercommunaux de prévention de la délinquance est une occasion de les revigorer et de les adapter.

La question de l’intercommunalité

La prévention de la radicalisation est probablement un domaine dans lequel l’intercommunalité a un rôle privilégié à jouer en vue de :

– permettre une certaine prise de distance du maire et des équipes municipales à l’égard de problèmes qui peuvent être très sensibles ;

– mutualiser les moyens disponibles ;

– prendre en compte le fait que la radicalisation déborde souvent le cadre communal ;

– répondre à la difficulté pour les préfets d’associer un nombre excessif de communes à la cellule de suivi.

Renforcer le partage de l’information

L’effort d’information en direction des élus doit être renforcé : le SG-CIPDR a consenti un effort important d’information des élus, mais beaucoup reste à faire, comme le montrent les résultats de la consultation nationale des élus locaux. L’État doit en particulier assurer la réciprocité des informations nécessaires à l’accomplissement des missions des collectivités : les élus regrettent fréquemment que le flux d’informations soit à sens unique, en direction de l’État. Il convient de répondre en particulier à trois besoins des élus locaux :

1) Faciliter l’appréciation de la situation globale de la radicalisation sur leur territoire ;

2) Faciliter la prévention des situations à risque dans leurs domaines de responsabilité, ce qui implique en particulier de sécuriser les recrutements locaux, mais ce qui n’exige pas la communication des « fiches S ». En la matière, le rapport identifie plusieurs niveaux de réponses :

– 1ère réponse : le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT), encore mal connu, est accessible aux maires via les préfectures. Il ne répond cependant pas totalement aux besoins, car il ne contient que les noms d’individus ayant fait l’objet d’une condamnation ou d’une décision judiciaires et ne concerne pas toutes les infractions en lien avec le terrorisme ;

– 2ème réponse : capitaliser sur les acquis, s’agissant du partage d’informations nominatives dans le champ de la prévention de la délinquance ; – une perspective : aller au-delà du FIJAIT et engager une réflexion sur le criblage des profils au profit des collectivités, pour leur permettre, lors d’un recrutement, de demander un avis à l’administration préfectorale ;

3) Transmettre en temps utile les informations nécessaires pour gérer l’émotion locale. Les maires sont en effet en première ligne lorsqu’un évènement trouble, inquiète ou choque la population.

Soutenir concrètement les collectivités sur le terrain

1) L’État doit accompagner les collectivités territoriales face aux pressions communautaristes : l’élu, s’il est confronté à des difficultés de ce type, doit se rapprocher au plus vite des services de l’État, qui doivent lui apporter leur entier concours pour faire face aux pressions ou rectifier des situations déjà compromises.

2) L’État doit s’acquitter convenablement des tâches qui lui incombent, notamment en matière de contrôle, trop souvent insuffisant, de l’obligation scolaire et du fonctionnement des établissements scolaires privés hors contrat.

3) Le financement des actions de radicalisation : les montants alloués à la lutte contre la radicalisation ont fortement augmenté, atteignant 47,5 millions d’euros en 2017. Toutefois, l’augmentation des crédits consacrés à la prévention de la radicalisation proprement dite n’est pas proportionnelle à celle des crédits consacrés à la lutte contre le terrorisme et la radicalisation en général. Le CIPDR souhaite désormais concentrer les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) sur les actions à l’intersection de la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Une évaluation de cette nouvelle approche sera nécessaire.

En outre, le FIPD est « un fonds d’amorçage ». La collectivité se retrouve ensuite seule financièrement pour poursuivre l’action dans le temps. Aussi, il est important de pérenniser le cofinancement des actions antiradicalisation par le FIPD, a minima à moyen terme, pour permettre aux collectivités de mener à bien leurs actions, dans un contexte marqué par de fortes contraintes budgétaires.

Les propositions de la délégation visent à faciliter la mobilisation efficace des opportunités rappelées ci-dessus, et à permettre ainsi aux collectivités territoriales de jouer pleinement leur rôle en matière de prévention de la radicalisation.

Luc Carvounas & Jean-Marie Bockel

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