Le maire (PS) d’Alfortville, Luc Carvounas, demande dans une tribune au « Monde » que l’on donne aux maires les moyens juridiques de lutter en première ligne contre la maltraitance et les violences faites aux animaux.
Alors qu’ils n’étaient que 26 millions en 1988 selon l’INSEE, ce sont aujourd’hui 77 millions d’animaux de compagnie qui partagent la vie des Français, un foyer sur deux accueillant au moins un animal. Dans le même temps, la notion de bien-être animal évolue à mesure que la perception des rapports entre l’homme et son environnement change.
Le bien-être animal, au-delà de la seule question des animaux domestiques, est une préoccupation croissante et de plus en plus souvent un enjeu politique et un outil de réflexion sur nos modes de vie.
Aucun secteur n’est laissé de côté par ces questionnements, qu’il s’agisse de nos habitudes de consommation, de l’élevage et des conditions de l’abattage des animaux dans les filiales agricoles et de l’agro-industrie en passant par la pertinence d’utiliser les animaux comme objets d’expérimentation ou de spectacles, tout est questionné à juste titre.
Des maires sans pouvoir juridique complet
Depuis 2015, le code civil a permis de faire un premier pas pour sortir d’une vision archaïque des rapports des hommes avec animaux en attribuant aux animaux la qualité d’êtres sensibles et donc en leur ouvrant les portes d’un statut juridique plus protecteur. Si la législation interdit les mauvais traitements envers les animaux domestiques et les animaux sauvages tenus en captivité, la loi renvoie à une série de décrets les mesures propres à assurer la protection des animaux d’élevage. Mais c’est bien souvent la vigilance citoyenne d’associations militantes qui se montre la plus efficace pour faire évoluer mentalités et pratiques dans ces secteurs.
La loi de novembre 2021 est en ce sens utile et permet de grandes avancées en proposant la création d’un certificat pour les animaux de compagnie dont le contenu précis sera défini par décret pour lutter contre les abandons, un durcissement des peines pour maltraitance et actes de cruauté sur les animaux, la fin des animaux sauvages dans les cirques, la fin des élevages d’animaux pour leur fourrure, pour ne parler que de cela.
Lire l’analyse : En quelques années, le bien-être animal est devenu une cause politique
Pourtant si la notion de maltraitance et de cruauté est bien présente dans ce texte de loi et dans l’arsenal juridique mis en œuvre, force est de constater que l’attention du législateur se concentre encore sur les formes les plus violentes de ces mauvais traitements, assimilés à de la torture. Mais pour ce qui permettrait aux maires ou aux associations de terrain qui sont en première ligne d’intervenir concrètement dès les premières alertes ou soupçons, pour mettre les animaux victimes en sécurité, alors là le compte n’y est pas.
La maltraitance pas prise en compte
Si cette loi de 2021 revisite les dispositions sur les fourrières en permettant aux communes de confier cette mission à des associations disposant d’un refuge, rien de nouveau sur les pouvoirs d’intervention du maire en tant que premier officier de police judiciaire (OPJ) de sa commune en cas de constat ou de soupçon de maltraitance.
L’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales dispose que « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. » Suit une énumération de différents pouvoirs accordés au maire, dans lesquels ne figure pas la possibilité d’intervenir pour secourir des animaux maltraités.
Ainsi, sur la base de cet article, le maire ne pourra exercer ses prérogatives qu’à l’égard d’animaux divagants. Et si le projet de loi de 2021 qui prévoyait l’obligation pour le maire de faire stériliser les chats sauvages sur sa commune a finalement débouché à ce que députés et sénateurs votent pour une expérimentation sur cinq ans d’une action coordonnée contre la prolifération de chats errants, rien n’a été pensé pour sortir de ce cadre juridique et permettre une action de terrain rapide en cas de constat ou de soupçon de maltraitance.
Des difficultés pour intervenir
Le code rural et de la pêche maritime, dans son article R214-17, définit pourtant assez clairement la notion de maltraitance animale : priver ces animaux de la nourriture ou de l’abreuvement nécessaires à la satisfaction de leurs besoins physiologiques propres à leur espèce et à leur degré de développement, d’adaptation ou de domestication, les laisser sans soins en cas de maladie ou de blessure, les placer et les maintenir dans un habitat ou un environnement susceptible d’être, en raison de son exiguïté, de sa situation inappropriée aux conditions climatiques supportables par l’espèce considérée ou de l’inadaptation des matériels, installations ou agencements utilisés, une cause de souffrances, de blessures ou d’accidents entre autres points.
Or, en l’état, le code prévoit seulement que « si, du fait de mauvais traitements ou d’absence de soins, des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité sont trouvés gravement malades ou blessés ou en état de misère physiologique, le préfet prend les mesures nécessaires pour que la souffrance des animaux soit réduite au minimum ; il peut ordonner l’abattage ou la mise à mort éventuellement sur place. Les frais entraînés par la mise en œuvre de ces mesures sont à la charge du propriétaire. »
Lire aussi : « Un ministère de la condition animale doit voir le jour lors du prochain mandat présidentiel »
En matière de protection animale et de lutte contre la maltraitance, force est de constater que nous sommes loin du compte. Il y a quelques jours, au cœur de ma ville, une femme n’ayant plus tout à fait ses moyens a été filmée déambulant dans les rues en tenant un de ses deux chiens par le cou et l’oreille. Postée sur les réseaux sociaux, cette vidéo a bien entendu provoqué une profonde indignation et m’a conduit à porter plainte, dépôt de plainte qui a permis d’identifier cette femme maltraitante et d’alerter dans le même temps l’Association Stéphane Lamart, habituée à intervenir en urgence dans ce type de situation.
Une réponse urgente
Il s’est avéré très difficile, malgré cette plainte et l’intervention de la police nationale et municipale, de convaincre cette dame de laisser ses chiens subir une consultation vétérinaire. Mais la force de persuasion née de l’indignation suscitée par la vidéo et l’appui du procureur de la République ont permis d’effectuer une expertise vétérinaire qui a confirmé les mauvais traitements, permis de sauver ces deux chiens et conduit à leur placement dans un centre d’accueil afin d’y recevoir les soins qui leur étaient nécessaires.
Ces chiens n’étaient pourtant ni errants ni agressifs et ne représentaient aucun danger, ils étaient « pucés » et étaient bien la propriété de cette dame. De ce fait, aucun arrêté du maire que je suis n’aurait pu juridiquement justifier leur indispensable mise en sécurité. Une visite de l’association au domicile de cette dame a par ailleurs révélé des conditions de vie extrêmement dégradées et la présence d’un certain nombre de chats et de hamsters, sans qu’un recensement plus précis ou une intervention de mise en sauvegarde puissent être envisagés.
Lire aussi : Entre les scientifiques et les défenseurs des animaux, une collaboration sans jugement est possible
Et c’est là où le bât blesse. Sauver des animaux de la maltraitance, comme dans le cas de toutes les maltraitances, est d’abord une urgence qui ne s’accorde que rarement avec la lenteur relative des procédures judiciaires ou qui puisse être laissé au bon vouloir ou à la disponibilité d’un magistrat.
Pour un renforcement de la juridiction
Si l’on veut avancer dans ce domaine, gagner en efficacité comme on peut le faire en matière de trouble à l’ordre public ou de mise en danger des biens et des personnes, alors il est temps que les maires disposent du droit de poser des arrêtés de mise en danger pour ces victimes que sont certains de nos animaux de compagnie.
Au législateur d’en définir les modalités et les contours, mais c’est aussi à lui de prendre ce sujet en main pour construire avec ces combattants de première ligne que sont les maires les bases d’une société qui protégera efficacement nos animaux.
Maintenant que le code civil attribue aux animaux la qualité d’être sensibles, il convient sans doute d’aller plus loin et de s’appuyer sur des jurisprudences internationales pour réaffirmer qu’il n’y a aujourd’hui aucun interdit juridique à qualifier un être non humain de personne et de sortir de cette logique de propriété qui protège en toutes circonstances ou presque le propriétaire au détriment de son animal. Et entrer enfin pleinement, comme c’est heureusement la plupart du temps le cas, dans une logique de cohabitation et de droits partagés entre l’humain et ses compagnons animaliers.
Source : Le Monde