Il est celui qui est parti le plus tôt en campagne. Le 30 novembre, Luc Carvounas faisait acte de candidature au poste de premier secrétaire du Parti socialiste. Moins de deux mois plus tard, quatre personnalités l’ont rejoint sur la ligne de départ et ont dit leur volonté de succéder à Jean-Christophe Cambadélis : Emmanuel Maurel, Olivier Faure, Stéphane Le Foll et Delphine Batho. Le congrès se tiendra début avril, mais le nom du premier secrétaire sera connu dès le 29 mars. Mercredi, dans son bureau de l’Assemblée nationale, l’ancien sénateur-maire d’Alfortville devenu député en juin dernier, est revenu sur son projet, déterminé à voir prospérer sa “gauche arc-en-ciel”. Il a aussi évoqué longuement son “compagnonnage politique” auprès de Manuel Valls, avec qui il a aujourd’hui coupé les ponts.

Cinq candidats, peut-être plus, à la présidence du PS, ça fait beaucoup non?
J’attends de voir au Conseil national du 27 janvier qui a les parrainages. Pour être candidat, il y a des règles. Il faut les respecter. Dans un souci de clarté, je ne fais plus partie de la direction collégiale car j’estime qu’on ne peut pas être juge et partie. J’imagine que demain si des candidats en responsabilité vont jusqu’au bout de leur candidature, ils vont faire comme moi et se mettre en sommeil de leurs responsabilités. Je pense notamment à Olivier Faure qui est président du groupe PS à l’Assemblée. Si on veut vraiment transformer ce parti, alors on commence par des actes forts et on se met tous sur une même ligne de départ.

Pourquoi voter pour vous?
Depuis huit jours, on a a trois personnalités qui sont candidates car Najat Vallaud-Belkacem ne l’est pas. Or, moi, je ne suis pas un candidat de substitution. Il faut être sur le fond et dire pourquoi on est candidat et avec qui. Je lis que certains se donnent déjà l’étiquette du candidat du rassemblement et du “môle central”. Le 27 janvier, ma motion sera signée par l’ensemble des sensibilités de l’histoire du PS, des hollandais jusqu’aux harmonistes.

Je suis le seul qui a voté contre le discours de politique générale d’Edouard Philippe

Sur les cinq candidats, quatre sont députés…
Est-ce que nous sommes semblables? Non. Il suffit de regarder nos votes au Parlement depuis le début du quinquennat. Je suis le seul qui a voté contre le discours de politique générale d’Edouard Philippe, qui n’a pas voté la loi terrorisme qui était portée au sein du groupe par Olivier Dussopt. Comme par hasard… (il a depuis rejoint le gouvernement, NDLR) Je suis aussi le seul à avoir été maire. C’est important quand on sait que les élections municipales seront un moment important de notre relève. J’ai écrit aux plus de 1.000 maires PS pour leur expliquer ce qu’était la gauche arc-en-ciel. Il faut parler des alliances. Je veux de la clarté.

Justement, c’est quoi cette gauche arc-en-ciel que vous souhaitez?
Il faut discuter avec les communistes, avec les écologistes, avec les amis de Benoît Hamon. Dans la gauche arc-en-ciel, j’inclus la France insoumise, mais ils ne veulent pas nous parler! Il faut que les partis de gauche prennent leurs responsabilités et refassent alliance sur un projet commun et des valeurs de gauche qui nous rassemblent. Mais les partis ne suffisent plus. Il faut s’ouvrir aux forces vives : les syndicats, les maisons de la culture, les organismes socio-professionnels, les associations… Toutes ces femmes et hommes qui font du militantisme de projet plus souvent que du militantisme politique. La République en Marche l’a très bien compris, on a le droit de regarder ce que nos adversaires font de bien. C’est de nos territoires que sortira le nouveau PS auquel je crois. Je veux un parti politique qui soit tout le temps dans la transformation, y compris demain quand on sera au pouvoir.

J’aspire à être le patron, donc je n’aspire pas à être en bas de l’échelle

Le PS devra-t-il être hégémonique dans cette gauche rose-rouge-verte?
C’est l’une des nuances que j’ai avec les autres candidats. Ils pensent que le PS doit être en haut de la pyramide et que les autres viendront naturellement à eux. J’aspire à être le patron, donc je n’aspire pas à être en bas de l’échelle, mais je suis tout à fait conscient d’où nous partons. Je veux que nous soyons le plus central possible dans cette gauche arc-en-ciel. Mais commençons déjà par rassembler les socialistes, parlons avec tous les partis de gauche et construisons. Aujourd’hui, je demande également le droit d’inventaire de la gauche au pouvoir et de son comportement. Moi j’ai fait le mien. Je suis libre et libéré.

C’est-à-dire?
J’ai commencé à le faire le 3 janvier 2016 quand j’ai signé par loyauté – car le Premier ministre de l’époque [Manuel Valls] me l’avait demandé – une tribune sur la déchéance de nationalité pour venir en aide à François Hollande un mois et demi après les attentats du Bataclan. Non seulement je le regrette, mais je dis que c’était une faute. J’ai vu le débat qui a suivi pendant trois mois. Cela m’a permis de comprendre qu’être loyal, c’est aussi ne pas accepter n’importe quoi. C’est pour cela qu’en juin 2016, je suis monté à la tribune du Conseil national pour dire à tous les socialistes que je n’étais pas d’accord avec Manuel Valls sur les gauches irréconciliables. Et qu’en août 2016, je me suis exprimé publiquement pour dire que je n’étais pas d’accord sur sa position sur le burkini. Ceux qui veulent me reprocher cette proximité passée avec Manuel Valls sont dans la politique politicienne, moi je préfère un homme politique qui reconnait qu’il a eu tort. Pour mon expression politique, cela a été salutaire.

Pour vouloir prendre la tête du PS, il faut être complètement dingue

Vous étiez l’un des très proches de Manuel Valls. Vous n’avez plus de contact avec lui?
Plus du tout. Pendant la campagne présidentielle, je lui ai demandé dans une interview au Monde de mouiller la chemise. Il m’a appelé, il a souhaité que l’on se voit, il est venu en mairie d’Alfortville, c’est à ce moment qu’on a rompu politiquement sur le fond. Je lui ai fait savoir que nous avions deux sujets de discorde : j’étais attaché au PS, pas lui – preuve en est – et j’étais attaché à l’union de la gauche, pas lui. Ça, je l’avais déjà compris quand en février 2016, après les régionales où j’avais été le directeur de campagne de Claude Bartolone, il m’avait clairement dit que si nous avions gagné avec notre stratégie d’union de la gauche, cela aurait signifié que sa stratégie des gauches irréconciliables n’était pas vraie. Lors de ce tête-à-tête dans son bureau, j’ai compris définitivement que je n’arriverais pas à l’emmener sur mes positions.

Moi, je ne dois rien à Manuel Valls. C’est toute la différence avec ceux qu’on appelait les “Evry boys”. Je ne lui dois pas mes mandats, pas d’être premier fédéral, pas d’avoir été élu maire, sénateur, député… C’était du compagnonnage politique. Mais on nous affuble toujours d’être le lieutenant de quelqu’un… Aujourd’hui, je suis libre et je peux vous en parler.

Les socialistes ont enchaîné les défaites électorales ces dernières années. Ne faut-il pas être un peu fou pour vouloir prendre la tête du PS?
Il faut être complètement dingue! Il n’y a que des coups à prendre et ce sont des pans entiers d’amitiés politiques qui tombent en morceaux. Je suis né à Alfortville, j’ai réussi, et c’est une vraie fierté, à être le maire de cette ville. Ma vie est totalement dans l’histoire du PS. Moi j’y crois. Sinon, à 46 ans, je vais faire quoi? Baisser les bras et me dire que cette histoire qui a plus de 110 ans est mise dans un corner par un mouvement qui s’est créé en avril 2016 et qui a une conception de la politique totalement ubérisée? Je sais qu’elle est mon histoire. Si j’avais une seule ambition ce serait qu’un jour au moins un livre d’histoire dise que la génération que je représente a relevé le drapeau, que le socialisme aurait pu mourir et que ça n’a pas été le cas. Je ne suis pas candidat aux élections européennes, je ne suis pas candidat à la présidentielle, je connais mon niveau de compétence et ce que je sais bien faire.

Le patron du PS n’a-t-il pas vocation à être candidat à la présidentielle?
Non, et je pense même que le ou la futur(e) premier(e) secrétaire doit avoir un mandat jusqu’à 2021 pour préparer les élections européennes et locales. Ensuite, celui ou celle qui sera désigné candidat devra prendre totalement le parti en main pour éviter qu’il y ait des hiatus comme on n’a pu connaître dans la campagne de Benoît Hamon ou de Ségolène Royal. A un moment donné, celui qui est choisi doit emmener l’appareil.

Si vous êtes élu, comment se composera votre équipe?
Je veux une gouvernance collégiale. On ne peut pas d’un côté dire ‘Macron c’est la présidence jupitérienne’ et avoir un homme ou une femme seule à la tête du PS. Je suis favorable à ce que le premier secrétaire national soit entouré de trois premiers secrétaires nationaux délégués, chacun chargé de l’une des priorités suivantes : l’égalité homme-femme, les outre-mer ou la jeunesse. Je proposerai aussi que le trésorier national soit issu des rangs de la motion arrivée seconde et que tous les présidents des commissions permanentes soient élus au suffrage universel par les militants, et non nommés de manière discrétionnaire. C’est pour ça que je demande dès maintenant le vote électronique, le seul moyen d’éviter toute suspicion.

On avait tout en 2012, on n’a plus rien cinq ans après

Le PS peut-il encore jouer un rôle de premier plan et à quelle échéance?
Je pars avec beaucoup de modestie : on avait tout en 2012, on n’a plus rien cinq ans après. Sincèrement, vu le travail à faire, je pense qu’il y en a au moins pour 10 ans. Ceux qui disent qu’en 2022 on revient… Il faudrait un cataclysme. Je l’espère. Mais le travail qui attend la gauche arc-en-ciel est titanesque. Réussissons déjà le rendez-vous européen et soyons clairs sur nos choix. Je sais d’où je viens, je sais ce que je dois à la gauche française et à ses valeurs, je ne tournerai pas le dos à mon histoire! Je veux me battre, même si je prends des coups.

Le projet de loi asile-immigration est-il la première occasion pour le PS de monter au créneau à l’Assemblée?
Il faudra être très attentif : l’accueil universel est l’ADN des socialistes et c’est mon histoire personnelle. Mes grands-parents paternels sont des réfugiés politiques qui ont quitté la Turquie et ont été accueillis en France. J’ai été le maire d’une ville surnommée “la petite Arménie”. Je vois la contradiction entre le discours d’avant campagne électorale et celui tenu après par le gouvernement. A Calais, j’ai eu l’impression d’écouter Nicolas Sarkozy! Emmanuel Macron a fait un discours très rugueux. Et je trouve cette circulaire du 12 décembre [sur le recensement des migrants en centres d’hébergement, Ndlr] incroyable! Je plains les fonctionnaires de la préfecture que l’on va obliger d’entrer dans ces foyers… La gauche va être très vigilante.

Plusieurs élus d’En Marche, certains anciens socialistes, ont élevé la voix contre ce texte. Leur tendez-vous la main?
Pas spécialement non. Quand on a trahi une fois, on peut trahir deux fois.

Source JDD