Densité harmonieuse, résilience territoriale et progrès partagé : bâtir la ville de demain

Alors que 80% des Français vivent dans des territoires urbains, nos villes sont très fortement exposées aux enjeux surgis de la crise sanitaire comme de ceux connus de la crise climatique.

Nous souhaitons proposer ici des pistes de réflexions pour construire une résilience territoriale plus forte, basée sur la réalisation d’une densité harmonieuse en termes d’aménagement de nos villes et de progrès partagé pour les valeurs qu’elles promeuvent.

Dès lors, les Socialistes se doivent de défendre la densité harmonieuse, car elle est à la fois vecteur de progrès social et de protection de la nature. Dans nos métropoles, les « maires bâtisseurs » ont le courage d’affronter certains discours démagogiques contre la construction de logements, quand ces mêmes détracteurs oublient que seules l’artificialisation des sols  – dont 70% résulte de la construction de logements – ou la ségrégation spatiale et sociale permettent d’y pallier.

Nous Socialistes devons donc assumer la centralité de la question du logement – dont 70.000 nouveaux sont nécessaires chaque année en Ile-de-France à titre d’exemple – qui est bien souvent la première demande du citoyen envers son Maire.

Une ville qui ne construit pas de logements, est un territoire où de nouvelles familles ne s’installeront pas, ce qui entraîne moins d’enfants donc une fermeture programmée de classes, c’est aussi moins de commerces et moins de services – de santé par exemple – moins de recettes fiscales donc moins de services publics. Au bout de la chaîne des conséquences, c’est la paupérisation d’un territoire, le vieillissement d’une ville, et donc une résilience très affaiblie. 

Quelques grands principes guident alors nos recommandations : réduire la fracture inégalitaire ; inventer de nouvelles solidarités territoriales ; réarmer nos services publics ; adapter nos territoires aux nouveaux modes de vies (logements, transports, télétravail, environnement, numérique…).

La densité maîtrisée : un facteur de progrès partagé et de résilience territoriale

 

Qu’on la nomme « dense » ou « compacte », la ville du XXIème siècle se doit de maîtriser son aménagement spatial et l’organisation de ses services, être attractive, mélanger et proposer les activités qui caractérisent la qualité de vie urbaine. 

On peut notamment évoquer dans ce cas une baisse des déplacements contraints pour ses habitants, l’existence d’une mixité sociale réelle et partagée, la présence de logements variés et adaptés à tous les âges de la vie, la préservation et le développement de l’emploi local ou encore la végétalisation des villes.

En luttant ainsi à la fois contre l’étalement urbain – donc contre la ségrégation spatiale – et l’artificialisation des sols – donc pour la préservation de la biodiversité et de l’accès à la nature en ville – nos territoires renforcent ainsi leur résilience territoriale. 

Alors que les évènements climatiques extrêmes se multiplient et vont se renforcer – canicules, sécheresses, inondations – nous devons adapter nos territoires à cette nouvelle réalité climatique. Cette adaptation doit se faire aussi bien en termes d’aménagement urbain, qu’en matière de prise de conscience citoyenne et d’engagement collectif. 

 

  • Focus sur la Culture de la mobilisation globale

Des dizaines de milliers d’hectares brûlés cet été  par des mégafeux, des centaines de sinistrés à épauler, des dizaines de milliers de vacanciers déplacés en quelques heures à accompagner, et de multiples records de températures à gérer auprès des personnes fragiles. La réalité brute est face à nous : l’inhabituel va devenir banal. L’extraordinaire est devenu chronique.

Canicule, sécheresse, incendie. Le triptyque redoutable du réchauffement climatique – qui n’en dessine ici qu’une de ses dramatiques facettes – nous appelle sans plus attendre à nous mobiliser et à développer ainsi une culture de la protection civile la plus globale possible. Et il existe une demande citoyenne.

En mars 2020, nous avions formé avec une trentaine d’élus une « coordination des maires d’Ile-de-France bouclier anti-Covid », et constaté que la crise sanitaire apportait un formidable élan de solidarité avec la manifestation spontanée de très nombreuses bonnes volontés. Nous avions pris alors l’engagement dans notre livre blanc, Construire la résilience territoriale pour anticiper les chocs à venir, de constituer dans nos communes des « réserves citoyennes locales ». 

A Alfortville, nous avons décliné cet engagement par la mise en place d’une réserve communale de sécurité civile. De manière très concrète, citons quelques missions qui peuvent leur être confiées : l’aide aux évacuations préventives, l’accompagnement des sinistrés, le suivi des personnes vulnérables, la communication et la transmission des alertes et des consignes de sécurité dans leur quartier, l’aide à établir un périmètre de sécurité, l’accompagnement de l’hébergement et de la restauration des populations à secourir…

Cette réserve n’a aucunement vocation à remplacer les services publics de secours ou d’urgence ou à concurrencer le travail des associations. Il s’agit d’un renfort supplémentaire, un outil de mobilisation civique et de développement des solidarités locales. 

Fixons-nous un objectif simple et ambitieux : bâtir dans notre société, dès le plus jeune âge, une « Culture de la mobilisation globale », allant de l’éducation à la prévention des risques à l’engagement dans la protection civile. 

 

La ville à la densité harmonieuse incarne ce que nous appelons la « République des proximités ». Par son aménagement maîtrisé, par ses activités et services proposés, la ville du XXIème siècle passe ainsi de la « ville fonctionnelle » – triptyque métro-boulot-dodo – à la « ville relationnelle », où il fait bon vivre et passer son temps libre. 

C’est une ville qui promeut la relation plutôt que la consommation, l’intérêt collectif plutôt que particulier, l’engagement citoyen à l’égoïsme individuel. 

C’est donc aux responsables politiques de proposer des dispositifs innovants pour incarner concrètement ces valeurs, qui concourent à la réalisation du progrès partagé.

 

  • Focus sur la création des Académies Municipales des Savoirs Populaires

Avec la création d’Académie Municipale des Savoirs Populaires, nous proposons un dispositif innovant d’éducation populaire du XXIème siècle. Connaissance de l’environnement administratif, connaissances relatives au bien-être et à la santé ou encore insertion sociale, culturelle, associative et sportive constituent un socle de savoirs populaires que chaque mairie doit pouvoir proposer à ses habitants. 

À titre d’exemple, lorsque l’on sait qu’un Français sur sept ne sait pas nager, on voit bien que ce “savoir populaire” peut faire défaut à chacun quels que soient son âge ou son origine sociale.  A nos villes de proposer aux citoyens d’acquérir ce socle de savoirs populaires ou fondamentaux.

Nos habitants auront ainsi accès à des cours publics, des formations populaires. Citons quelques exemples concrets de savoirs populaires à proposer aux citoyens : arts plastiques, bien-être et santé (diététique, sport…), culture (théâtre, musique…), apprentissage du français et des langues étrangères, loisirs nature et environnement (apprendre à jardiner, à bricoler, à réparer ses objets, à se déplacer à vélo…), vie pratique (apprendre à bien manger, à réduire nos consommations d’énergie…).

Nos Académies Municipales des Savoirs Populaires concrétisent le progrès partagé en ce qu’elles incarnent les villes solidaires de demain.

 

Vitesse, distance et hauteur : un nouveau rapport au temps 

La densité harmonieuse nous invite à revisiter notre rapport à la vitesse, à la distance et à la hauteur. Il nous faut imaginer une autre manière de « faire la ville ».

Dans Énergie et Equité, Ivan ILLITCH démontrait que généralement « les gens travaillent une bonne partie de la journée seulement pour gagner l’argent nécessaire pour aller travailler ». 

Les crises sociales actuelles – avec celle des Gilets Jaunes pour paroxysme – démontrent que ce modèle décrit par ILLITCH n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui.

D’autant plus que le transport demeure le 1er secteur émetteur de gaz à effet de serre, dont 70% de son volume est consacré au transport de passager. 

 

  • Focus sur les politiques de « Chrono-aménagement »

La densité harmonieuse vise à réduire les distances à parcourir pour les activités de la vie quotidienne (transport, travail, garde d’enfants, courses, activités de loisirs, accès aux services publics…). Elle permet ainsi de réduire notre vitesse journalière et de décélérer, d’éviter d’ajouter du stress à la vie quotidienne et, tout simplement, de « prendre le temps de prendre le temps ». 

Pour réduire la vitesse, il convient de réduire nos distances parcourues, donc de passer à une logique d’aménagement horizontal – l’étalement urbain – à une logique d’aménagement vertical : la « ville compacte ». 

Dès lors, chaque territoire devrait à son échelle proposer une réflexion globale de « chrono-aménagement », ou pour le dire autrement, de mettre en place une véritable « politique des temps ». 

Nous pouvons en donner quelques exemples non-exhaustifs : mise en place du télétravail et des horaires aménagés, installation de tiers lieux, des espaces publics partagés ou équipements multi-usages, promouvoir les mobilités douces, développer des micro-crèches et des « villages séniors », organiser la « ville plateforme » pour réaliser ses démarches administratives et ses paiements en ligne, ouvrir certains services le dimanche sur une base de concertation collective (ex. médiathèque).

 

Offrir de la proximité, c’est garantir un ralentissement de notre rythme collectif donc favoriser la sobriété – énergétique notamment – dans le même temps.  

Aussi, la notion de densité maîtrisée – contraire d’une densité diffuse et anarchique – permet-elle d’anticiper les conflits d’usages au sein de la ville compacte. Densité choisie ou densité subie, tout est affaire d’anticipation et d’organisation. Il faut trouver un subtile équilibre des aménagements afin que la perception de la densité soit ressentie comme une chance et non comme un désavantage. 

C’est toute l’importance de la qualité de vie proposée, de la qualité des espaces publics et de l’accès aux services.   

La ville de demain ne doit pas dévorer l’énergie de ses habitants (bruit et stress, transports longs et contraints, services peu accessibles, nuisances diverses), elle doit leur en rendre (sérénité et accessibilité). 

Pour le résumer d’une formule : les maître-mots d’une densité harmonieuse sont la proximité et la réversibilité, quand celui de la densité subie devient la promiscuité

Les politiques de chrono-aménagement produisent alors de la densité harmonieuse par l’organisation collective concertée des temps individuels.

Elle se construit avec les habitants. Mais il nous faut trouver le bon équilibre entre la juste consultation de la population et le risque de paralysie des aménagements par quelques personnes constamment mobilisées contre toute évolution. 

Préserver le cadre de vie ne peut pas revenir à créer de l’immobilisme, au risque d’entrer dans le cercle vicieux décrit en introduction, qui conduit à la paupérisation d’un territoire.

La co-construction citoyenne est une force, dès lors qu’elle ne termine pas en « agora permanente ». La recherche du consensus est nécessaire, mais elle ne peut pas se transformer en une attente d’unanimité. Il faut parfois assumer d’arbitrer des intérêts contradictoires, car « gouverner, c’est choisir ». C’est le sensible équilibre à trouver entre le besoin de démocratie participative et le nécessaire arbitrage effectué par la démocratie représentative. Elles doivent se compléter, non s’opposer. 

Pour conclure, nous observons que la « ville compacte » est une ville qui se renouvelle sur elle-même. 

En résumé, pour atteindre la densité harmonieuse, la ville se doit de maîtriser son aménagement – dans une logique verticale – tout en insufflant un « esprit  village ». 

La densité harmonieuse nécessite donc dans un territoire d’y trouver de la mixité sociale et intergénérationnelle, un bon accès aux divers modes de transports propres, une qualité architecturale et intérieure des logements livrés, une culture du vivre-ensemble et des espaces partagés, de la tranquillité publique, de l’accès à la nature en ville, de la mixité fonctionnelle des équipements et de politiques de chrono-aménagement.

Les Socialistes peuvent donc impulser une politique assumée de densité harmonieuse, de par les territoires qu’ils dirigent bien sûr, mais surtout par les valeurs qu’ils défendent : solidarités, défense du service public, promotion de la sobriété, accès à la nature en ville, protection de la biodiversité et du vivant non-humain, engagement citoyen.

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Actions et orientations pour bâtir une densité harmonieuse

• Transférer les politiques de solidarités – hors gestion du RSA – au bloc communal, car nous sommes les mieux armés en termes de connaissance des besoins de nos territoires, notamment à l’appui de notre Analyse des Besoins Sociaux (ABS)

• Encadrer les baux commerciaux pour permettre l’installation de commerces de proximité et d’artisans locaux dans les zones denses, où les loyers commerciaux sont très élevés

• Créer un dispositif financier au niveau national – ou européen – pour accompagner les « maires bâtisseurs », notamment pour pallier la disparition des leviers fiscaux propres à nos territoires (ex. suppression de la Taxe d’Habitation)

• Construire la densité harmonieuse en s’attaquant en priorité aux friches, dents creuses et « verrues urbaines »

• Encourager la signature de Charte Qualité de l’Habitat Durable et la révision des PLU pour empêcher le développement urbain anarchique et favoriser la végétalisation de la ville

• Renforcer les aides publiques pour accompagner la mise en œuvre des ZFE dans les métropoles et faciliter l’acquisition de véhicules électriques pour les résidents des zones concernées + renforcer les aides publiques à la rénovation des passoires thermiques avec la perspective de l’interdiction de louer des logements classés G (2025) et F (2028) en matière de DPE

• Adopter un grand plan de rénovation thermique des bâtiments publics et de remplacement de l’éclairage public par des LED 

• Proposer de la « Culture pour tous » dans les espaces publics de la ville (Parcours Street Art, Statues, fresques…) pour marquer l’importance de l’accès au beau pour tous

 

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 1 « La ville compacte », Marc-Olivier PADIS, Hadrien BAJOLLE, Philippe CLERGEAU, Richard TRAPITZINE, publiée chez TERRA NOVA, 2 février 2022

2 « Réserve citoyenne locale : bâtissons une culture de la mobilisation globale», Luc CARVOUNAS, L’Opinion, 19 août 2022

3  Livre blanc « Construire la résilience territoriale pour anticiper les chocs à venir », COMIF, Fondation Jean JAURES, Août 2020

4  « Pour des Académies du Savoirs dans les villes », Luc CARVOUNAS, JDD, 28 septembre 2019